mardi 24 juin 2008

Ne pas perdre sa vie à la gagner

Dans son édition du jour, le Monde s'interroge sur la désaffection française à l'égard des revendications syndicales, et ce en dépit de la morosité générale qu'attestent chaque jour un peu plus les sondages d'opinion. La thèse est alors émise d'une forme d'individualisation de la revendication, en partie responsable de l'émiettement des protestations.

Je trouve pour ma part assez étonnant qu'une explication beaucoup plus convaincante à mes yeux ne soit pas donnée. Les mouvements sociaux des années 60 à 90 ont été marqués par le ressenti d'une forme d'usurpation sociale fondamentalement nationale, d'une intériorisation de lutte des classes au sein de la société française, entre une politique de droite conservatrice aux mesures ouvertement discriminatoires et revendiquées comme telles (la droite décomplexée ne date pas d'hier), et un mouvement de gauche prônant pour le coup une politique de redistribution tout à fait crédible. En ces temps là, les marges de manœuvre existaient et ne semblaient résulter que d'un arbitrage national.

Le phénomène de mondialisation a rendu la revendication sociale beaucoup plus ardue. Comment se plaindre du temps de travail ou de salaires faibles alors que les images de travailleurs d'Europe de l'est, pour ne pas parler des indiens et chinois, nous sont présentées à longueur de temps agrémentées de leur commentaire subliminal : "souvenez vous que là-bas, des gens travaillent plus que vous pour moins cher". La mondialisation ne concerne pas seulement l'économie et le travail, la conscience sociale est elle aussi devenue planétaire. Au point que les français ne se sentent tout simplement plus légitimes dans leurs revendication, quand-bien même le seraient-elles (on songe pour le coup à l'augmentation des salaires des grands patrons ou président(s) français, qui ne semblent pas se formaliser des conditions de vie des pays émergents).

En quelques années, nous sommes ainsi passés d'un société d'espoir à une mondialisation de la résignation, ou le manifestant se sent moins floué par la droite que par le monde, acculé à une vie laborieuse, dépourvue de toute autre perspective que de travailler un peu plus pour gagner un peu plus. La mécanique du rêve est cassée, il est temps de songer à la remplacer.




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