vendredi 27 juin 2008

La pomme de terre et la chataîgne

Dans son édition d'aujourd'hui, Le Monde présente un remarquable article sur la désignation, en ce vendredi 27 juin, des délégués qui participeront au prochaine renouvellement sénatorial. Le constat est sans appel : 49,5% de ces grands électeurs représentent les communes de moins de 3500 habitants, soit 34% de la population française. Un électorat qui se trouve être systématiquement à forte dominante conservatrice, ce qui bloque en l'état toute possibilité d'alternance dans notre chambre haute.

Les discussions actuelles autour du projet de réforme constitutionnelle sur la réforme des institutions a donné lieu aux indignations légitimes de l'opposition. Ce "défi à la démocratie", pour reprendre les termes de Robert Badinter, n'est pourtant pas près de trouver une issue digne. La droite sénatoriale bloque toute évolution du mode de scrutin, au motif que ce procédé trouverait sa raison dans l'ancrage historique du sénat dans le territoire. Argumentation démentie par les chiffres, puisqu'outre les larges biais de représentativité présentés plus haut, un tiers des sénateurs n'exercent aucun mandat local, et que le sénat comporte 27% de maires, contre 43% pour l'assemblée nationale.

Une fois de plus, la volonté de neutralité du Monde aboutit à un article diplomate, ou chacun devra rechercher - et trouvera - les raisons de s'indigner. Mais quand les principes élémentaires de la démocratie sont baffoués de manière si désinvolte, transformant une institution politique française en sanatorium de luxe pour conservateurs déclinants, avides du prestige d'une position - "appelez-moi M. le sénateur" - qu'ils contribuent chaque jour à dicréditer, il est bon que des voix s'élèvent pour exiger la fin de cette opportuniste mascarade et le rétablissement du principe démocratique.


mardi 24 juin 2008

Ne pas perdre sa vie à la gagner

Dans son édition du jour, le Monde s'interroge sur la désaffection française à l'égard des revendications syndicales, et ce en dépit de la morosité générale qu'attestent chaque jour un peu plus les sondages d'opinion. La thèse est alors émise d'une forme d'individualisation de la revendication, en partie responsable de l'émiettement des protestations.

Je trouve pour ma part assez étonnant qu'une explication beaucoup plus convaincante à mes yeux ne soit pas donnée. Les mouvements sociaux des années 60 à 90 ont été marqués par le ressenti d'une forme d'usurpation sociale fondamentalement nationale, d'une intériorisation de lutte des classes au sein de la société française, entre une politique de droite conservatrice aux mesures ouvertement discriminatoires et revendiquées comme telles (la droite décomplexée ne date pas d'hier), et un mouvement de gauche prônant pour le coup une politique de redistribution tout à fait crédible. En ces temps là, les marges de manœuvre existaient et ne semblaient résulter que d'un arbitrage national.

Le phénomène de mondialisation a rendu la revendication sociale beaucoup plus ardue. Comment se plaindre du temps de travail ou de salaires faibles alors que les images de travailleurs d'Europe de l'est, pour ne pas parler des indiens et chinois, nous sont présentées à longueur de temps agrémentées de leur commentaire subliminal : "souvenez vous que là-bas, des gens travaillent plus que vous pour moins cher". La mondialisation ne concerne pas seulement l'économie et le travail, la conscience sociale est elle aussi devenue planétaire. Au point que les français ne se sentent tout simplement plus légitimes dans leurs revendication, quand-bien même le seraient-elles (on songe pour le coup à l'augmentation des salaires des grands patrons ou président(s) français, qui ne semblent pas se formaliser des conditions de vie des pays émergents).

En quelques années, nous sommes ainsi passés d'un société d'espoir à une mondialisation de la résignation, ou le manifestant se sent moins floué par la droite que par le monde, acculé à une vie laborieuse, dépourvue de toute autre perspective que de travailler un peu plus pour gagner un peu plus. La mécanique du rêve est cassée, il est temps de songer à la remplacer.




lundi 23 juin 2008

La paresse des trentenaires

A l'occasion de la lecture de Bonjour Tristesse, je regardais une interview accordée en 1965 à la télévision belge par Françoise Sagan, alors âgée de 30 ans, dans laquelle elle cite Sartre : "être libre, ce n'est pas pouvoir ce que l'on veut, c'est vouloir ce que l'on peut".
Je dois m'estimer heureux d'une liberté intermédiaire, car je sais assez facilement ce que je ne veux pas, et me préoccupe assez peu de savoir comment l'obtenir.

dimanche 22 juin 2008

Bansky - People die everyday


people di everyday bansky
Originally uploaded by peymon

Bonjour tristesse, Françoise Sagan

Passé l'éblouissement devant cette jeunesse virtuose, enfermée par son talent dans une triste solitude qui se rêvera légère, on est reconnaissant à l'auteur de ces pages détachées, élégantes et faussement paresseuses.

Par ailleurs, nous saurons gré de cette leçon que l'emportement n'est pas la meilleure réponse aux pires bêtises; sachons plutôt, en les ignorant, leur accorder l'importance qu'elles méritent.

mardi 17 juin 2008

Stratèges de bureau

Je ne crois pas avoir un jour atteint un tel écœurement à l'égard de mon travail. Peut être aussi que le temps aidant, ce qui apparaissait comme un halo de désagréments temporaires et qui - pensai-je alors- finirait bien par laisser la place à des jours meilleurs n'a fait que s'amplifier. L'espoir à cédé la place à cette amère résignation oh combien suffocante.

Il faut bien reconnaitre que les exemples ne manquent pas pour discréditer cet étrange amas de bureaux, postes de travail, salles de réunion et collègues englués sur le post-it géant de l'entreprise. Managers péremptoires, incompétents mais toujours de bonne foi, gestion invisible des carrières et compétences, prime à l'obséquiosité et à la brosse à reluire, et que dire encore des petites manoeuvres des bonaparte de machine à café, bas bedonnants à bouc insignifiants et comploteurs qu'il faudra se résoudre à voir promus chef. Rira bien qui rira le dernier.



vendredi 13 juin 2008

Apprendre à ignorer

"Si Tubbie est si souvent déçu, c'est peut-être parce qu'il attend trop des autres. Plus talentueux que son oncle, plus exigent avec lui-même, il lui faudra pourtant attendre le temps où, pleinement conscient de ce regard étranger, de son rôle, de sa mécanique et de ses effets, il trouvera en lui (seul) la force de l'ignorer."
Les neuveux de l'empereur, P. Caulfield (fc)


dimanche 8 juin 2008

Un jeu qui n'en est pas un

On a tous besoin de croire en quelque-chose. Certes, ce n'est pas pour autant que l'on parvient à ses fins, nuanceront les sceptiques. Par ailleurs, quand bien même y arriverait-on, en quoi la volonté et l'acharnement tiendraient-ils lieu de légitimité ?

Imaginons un instant qu'un bon à rien lambda, épris soudainement de mégalomanie foudroyante, se démène corps et bien dans une lutte pour son prétendu destin avec une ténacité telle qu'il finisse par triompher. En quoi l'effort - réel - consenti dans la conquête justifie-t-il la position obtenue ?

Sur ce point, il est une différence fondamentale et souvent incomprise entre le monde du sport et le monde du travail. Dans le premier, le statut brigué (numéro un mondial par exemple) est celui de meilleur dans l'activité, qui consiste justement en l'obtention du statut. Dans le second, le statut brigué (poste supérieur dans la hiérarchie) est de façon implicite celui de meilleur dans l'activité, mais celle-ci ne consiste absolument pas en l'obtention du statut. En d'autres termes, le jeu est biaisé. Je dois faire un bon travail (ie rédiger des rapports précis et complets, etc.) ou travailler dans le sens de l'obtention du statut (recours à des stratégies de communication par exemple), mais les deux objectifs sont disjoints, quand ils ne sont pas contradictoires.

Il ne faut donc pas s'étonner des injustices et frustrations de l'univers travail. Car sans une certaine subtilité de la part des dirigeants, la réussite ne récompense bien souvent que les meilleurs dans l'accession à la réussite, non dans l'activité.

vendredi 6 juin 2008

Shut up and let me go !

Des histoires, une vie

Qu'y a-t-il de si réjouissant à lire des romans, se plonger dans un film, assister à une pièce de théâtre ou lire encore une bande dessinée ? A première vue, bien qu'il soit toujours possible de chercher des explications rétrospectives, rien ne remplace le ressenti présent, et impossible de le circonscrire à un raisonnement sur les implications et motivations du lecteur ou spectateur.

La vérité est là : devant un film, un livre, on s'amuse, on s'ennuie, on prend son pied, on s'emballe, on réfléchit, on divague, on se retrouve, on est déçu ou emballé, et je ne sais quoi encore. Bref, on fait l'expérience de la vie. Mais de quelle vie au juste ? de ces histoires, tout simplement : de cette fille rebelle aux cheveux noirs, de ces trois hommes en colère, de ces jeunes entre romances et responsabilités, etc. Ces destins imaginaires, nous y entrons par l'entremise de l'auteur. A peine franchi le seuil du récit, nous voilà offert quelques jugements et points de vue, une chanson en tête, on nous présente à des gens sympathiques. "Enchanté, vous êtes ? Le lecteur, très bien. Et vous ? Ah un personnage, très heureux de faire votre connaissance, vous prendrez bien un verre." Et nous voilà amis, sur la route avec Dean Moriarty, en fugue inspirée avec Holden Caulfied, dans une fusée lunaire avec ce cher professeur Tournesol, au bloc avec ces filles à tomber (je te les présenterai) !

Voilà ce qui fait un bon auteur. Le style en déguisement, plus encore qu'une belle histoire, il nous offre une belle vie.


jeudi 5 juin 2008

Conte de printemps

Une nuit de printemps, étoiles et demi-lune,
parfums d'herbe coupée, de sapins et de bois,
une fenêtre éclairée, veilleuse aux rideaux mat,
et les stridulations de grillons insomniaques.

mercredi 4 juin 2008

La civilisation (prolongation)

Comment vivre ? N'est-ce pas la question qui hante chacun de nous par intermittence, dès les premiers balbutiements de notre conscience ? Demander, comme l'a fait William James, si la vie vaut la peine d'être vécue, c'est s'exposer à une réponse sous forme de boutade : "Tout dépend de ce qu"on boit" Les enfants de l'empereur, Claire Messud, Gallimard 2008

Autant connaissons nous bien des buveurs, autant cette question éternelle reste sans réponse. Toujours est-il que cette réflexion du personnage de Murray Twaithe semble pouvoir être prolongée. En effet, si la vie par instants se montre facétieuse, découragente parfois, il est par bonheur des personnes qui nous indiquent la direction à suivre. Non par explication ou didactisme, mais par leur attitude, leur exemplarité. Une posture, un sentiment, un comportement, une implication, de ces petites chose que l'on admire et qui nous transforment.



The Ting Tings - Great DJ

mardi 3 juin 2008

La civilisation

"Le problème, c'est que je suis attiré par les romans ; enfin, ça ressemble plutôt à une sorte d'attraction/répulsion.
- Tu as tout à fait raison. Il faut absolument en lire, répondit son oncle. C'est ça, être civilisé. Romans, histoire, philosophie, science - sans discrimination. On s'expose le plus possible, on assimile, on en oublie les trois quarts, mais on en sort transformé.
"
Ce dialogue entre le personnage de Frederick Tubb et son oncle, glissé discrètement par Claire Messud au milieu de son dernier roman Les enfants de l'empereur, touche à quelque-chose de fondamental et précieux. Que serait-on sans nos lectures, tant elles nous apprennent et nous transforment, telles mille rencontres passionnées que la vie seule ne saurait nous offrir ?